Comment déroger à la limitation de vitesse de 80 km/h sans générer des accidents ? La nouvelle limitation de vitesse a été instaurée le 1er juillet 2018 hors agglomération sur toutes les routes à double sens sans séparation centrale, à l'exception des créneaux de dépassement qui sont restés à 90 km/h.
Dans le cadre de la Loi d'Orientation des Mobilités (LOM), il est envisagé de donner la possibilité aux présidents de Conseil Départemental, aux maires ou présidents d'intercommunalités, de déroger au 80 km/h et remonter la limitation de vitesse à 90 km/h.
Les routes bidirectionnelles sont les plus dangereuses
Les routes bidirectionnelles hors agglomération, sur lesquelles a été abaissée la limitation de vitesse au 1er juillet 2018, sont des routes qui enregistrent une grande partie des accidents graves. Elles concentrent 55% de la mortalité routière. Elles ne sont pas équipées des éléments de sécurité propres aux autoroutes ou aux 2x2 voies (séparation des deux sens de circulation, bande d'arrêt d'urgence, carrefours dénivelés ...) permettant à un trafic de transit de pratiquer des vitesses élevées.
Le comité des experts lors de son mandat précédent a recommandé l'abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur l'ensemble des routes bidirectionnelles dans son rapport Recommandations pour diviser par 2 le nombre de décès ou de personnes blessées d’ici 2020.
En effet, les routes qui voient le plus d'accidents graves ne sont pas celles qui sont les plus dangereuses : lorsque le conducteur circule sur une petite route de montagne avec des virages, il ralentit, et sera beaucoup moins susceptible d'avoir un accident grave. Au contraire, lorsqu'il est sur une route bien dégagée, confortable, il va accélérer ; le nombre de véhicules empruntant ces routes est pour sa part très important. Aussi il est beaucoup plus probable que les accidents graves se produisent sur ces "belles routes". L'étude de l'accidentalité du réseau bidirectionnel dans les 100 départements de France a confirmé que dans chaque département, les routes principales représentent une part plus importante des morts hors agglomération que leur part de linéaire. En moyenne, lorsque le réseau principal représente 10% des routes bidirectionnelles d'un département, il concentre 38% des morts ; lorsque le réseau principal représente 20% des routes bidirectionnelles d'un département, il concentre 55% des morts.
Consultez la part des morts sur les routes principales de votre département.
Avec un tel constat, quelles routes remettre à 90 km/h ?
Une fois la LOM promulguée, avant de prendre l'arrêté dérogeant à la limitation de vitesse à 80 km/h, les autorités de police de la circulation vont présenter leur projet en Commission départementale de sécurité routière (CDSR). Les CDSR, présidées par le Préfet, comportent des représentants de l'Etat, des collectivités locales, et des associations d'usagers. D'après les articles R. 411-10 à R. 411-12 du code de la route, elles doivent notamment veiller à « l’harmonisation des limitations de vitesse des véhicules sur les voies ouvertes à la circulation publique ».
La note du comité des experts a pour objectif de proposer une démarche permettant aux décideurs de prendre leurs responsabilités sur la base d'éléments objectifs. En particulier, l'annexe de la note indique les étapes clés souhaitables pour que les CDSR disposent des éléments d'appréciation du projet.
Apprécier les enjeux de sécurité routière, identifier les risques et les mesures compensatoires : un processus en 5 étapes
Un état des lieux de l’accidentalité du réseau routier départemental :
Le panorama de l’accidentalité regardera la répartition des accidents graves selon les types de routes. En général les routes principales contribuent beaucoup plus fortement à l’accidentalité grave que leur part de linéaire. Ainsi il sera calculé sur une période de 5 ans :
- par catégorie de routes, la part qu’elle représente dans l’accidentalité grave du réseau bidirectionnel du département.
- sur chaque itinéraire de plus de 50 km, le ratio du nombre d’accidents graves rapporté à son linéaire (densité).
Le gestionnaire indiquera à quelle catégorie de route visée ci-dessus appartiennent les tronçons proposés en dérogation. Pour assurer une bonne compréhension de la route pour l’usager, les tronçons feront au moins 10 km.
Objectif poursuivi par le gestionnaire :
Le gestionnaire devra mettre en évidence les gains recherchés qui justifient une dérogation, et les comparer avec le risque d’augmentation des accidents graves potentiellement lié à l’augmentation des vitesses.
Des usages non compatibles avec une dérogation au 80 km/h :
Des mesures de trafic et vitesses des automobilistes et des poids lourds seront réalisées en ligne droite d’au moins 500 m sur le tronçon considéré. Les critères suivants, qui présenteraient un risque fort d’aggravation de l’accidentalité en cas de relèvement de la limitation de vitesse, ne sont pas compatibles avec une dérogation au 80 km/h :
- une V85 Poids lourd (vitesse en-dessous de laquelle circulent 85 % des poids lourds) supérieure à 80 km/h (y compris la nuit),
- une V85 Véhicule léger supérieure à 90 km/h (y compris la nuit).
Les mobilités douces ou lentes doivent être préservées. La présence des éléments suivants sur le tronçon n’est pas compatible avec une dérogation au 80 km/h :
- arrêts de transport en commun
- traversée de chemins de grande randonnée ou de véloroutes
- riverains
- engins agricoles.
Des caractéristiques minimales de l’infrastructure :
A la mise en place de la dérogation, l’infrastructure devra présenter les caractéristiques minimales suivantes :
- pour éviter les chocs frontaux, à défaut d’une séparation physique des deux sens de circulation, interdiction de dépassement matérialisée par deux bandes blanches avec alerte sonore,
- pour éviter les sorties de route, des accotements revêtus de largeur minimale 1,50 m et une alerte sonore en rive,
- pour réduire la gravité des accidents, une zone de sécurité et le traitement des obstacles latéraux (pas d’obstacles non protégés dans les 4 m du bord de chaussée, les 1,50 m d’accotements revêtus étant inclus dans ces 4 m),
- pour éviter les chocs en intersection, interdire la traversée et le tourne-à-gauche.
Cas particulier des sections à 3 voies :
L’alternance entre limitations à 80 et 90 km/h sur les sections à trois voies génère dans certains cas une distraction liée à la rapidité des changements de limitation de vitesse. En effet, certaines de ces sections sont aménagées avec des alternances de créneaux de dépassement très courts (quelques centaines de mètres).
Pour ces sections, un travail de redistribution des créneaux sera un complémentaire indispensable à une proposition de dérogation à 80 km/h sur le sens opposé afin d’en réduire le nombre et d’en augmenter sensiblement la longueur (idéalement 1 km) pour limiter des vitesses trop élevées.
Suivi avant/après :
Afin d'évaluer la mesure dérogatoire au plan local, le gestionnaire de voirie prévoira un dispositif de suivi des vitesses et des comportements. Par ailleurs, il transmettra au Cerema et à l'ONISR, en charge de l'évaluation du 80 km/h les localisations précises des tronçons de routes dérogeant, ainsi que les dates d'application de la dérogation.