Conséquences de l’épilepsie sur l’aptitude à la conduite (EPICO)

Le projet « Epilepsie et conduite (EPICO) », mené par l’Université Gustave Eiffel et l’Institut La Teppe à Tain l’Hermitage, vise à mieux comprendre l’impact des troubles épileptiques sur la conduite automobile en réalisant des mises en situation sur un simulateur de conduite. Une synthèse de l’état de l’art est proposée ci-après.

En France, dix personnes sur mille sont touchées par les épilepsies (SNIIRAM – Régime général, 2014). Ces maladies neurologiques chroniques se caractérisent par une prédisposition cérébrale durable à générer des crises et à engendrer des conséquences neurobiologiques, neuropsychologiques, sociales et psychiatriques (Maillard & Vignal, 2017). Sa définition englobe une grande variabilité de réalités cliniques, comprenant notamment une symptomatologie et des formes de sévérité variables.

Une crise d'épilepsie peut se manifester de différentes manières, allant de mouvements involontaires à des pertes de conscience ou encore des altérations de la perception sensorielle.

Impact de l’épilepsie sur les fonctions cognitives

Au-delà des crises elles-mêmes, l'épilepsie peut entraîner des difficultés dans les activités quotidiennes. Parmi les facteurs y contribuant, les troubles cognitifs sont courants chez environ 70% à 80% des personnes épileptiques et jouent un rôle majeur dans la dégradation de leur qualité de vie (Helmstaedter & Witt, 2017).

Les origines et mécanismes des troubles cognitifs associés à l'épilepsie sont variés, pouvant découler de l'activité cérébrale anormale pendant les crises, des dommages causés par des crises répétées et sévères, ou de l'effet des médicaments antiépileptiques. Ces troubles varient également selon l'étiologie sous-jacente à l'épilepsie et la localisation des crises.

La fatigue est aussi un symptôme fréquent chez les patients épileptiques, avec une prévalence de 47.1% (Kwon et al., 2017). Elle est influencée par plusieurs facteurs, dont la fréquence des crises, les troubles cognitifs, les effets secondaires des médicaments, les comorbidités psychiatriques et les perturbations du sommeil (Kwon & Park, 2016 ; Neves & Gomes, 2013 ; Sarkis et al., 2018). Cette fatigue peut avoir un impact significatif sur les fonctions cognitives, entraînant des difficultés d'attention, de mémoire, de traitement de l'information et de prise de décision, compromettant ainsi la qualité de vie des patients (Chaudhuri et al., 2004 ; Perzynski et al., 2017).

Impact de l’épilepsie sur la conduite

Les troubles attentionnels, la fatigabilité et une charge cognitive excessive sont des facteurs majeurs de risque d'accidents de la route et de performances de conduite moindres (Matthews et al., 2019 ; Zicat et al., 2018). Ces troubles cognitifs, fréquemment retrouvés chez les patients épileptiques, peuvent compromettre la capacité du conducteur à percevoir et à réagir aux signaux de la circulation, à maintenir son attention sur la route et à prendre des décisions rapides et appropriées. Par exemple, un déficit de l’attention divisée rend le conducteur plus sensible aux distractions internes (e.g., pensées) ou externes (e.g., musique, conversation, téléphone), et peut entraîner une baisse de la vigilance et une augmentation des temps de réaction (Cunningham & Regan, 2018 ; Recarte & Nunes, 2003 ; Strayer & Johnston, 2001 ; Wolfe et al., 2019), amplifiant ainsi le risque de collision. De même, la fatigue et la somnolence peuvent altérer la capacité du conducteur à rester alerte et à maintenir une conduite sûre (Joly et al., 2018).

Le type de crise joue également un rôle dans le degré d’altération des capacités de conduite. En effet, les crises épileptiques qui altèrent l’état de conscience (e.g. crises partielles complexes, crises tonico-cloniques généralisées) sont généralement associées à un risque accru d'accidents (Gastaut et Zifkin, 1987). Une étude de Ban et collaborateurs (2020) a démontré que les crises focales avec altération de la conscience peuvent provoquer des altérations significatives des capacités de conduite sur simulateur, incluant une accélération involontaire, une perte de contrôle directionnel et de freinage, augmentant ainsi le risque d'accidents.

Même en dehors des périodes de crise, les personnes épileptiques peuvent rencontrer diverses difficultés cognitives susceptibles d'influencer leur capacité à conduire en toute sécurité. Une étude de Krestel et collaborateurs (2011) a notamment mis en avant chez 50% des participants épileptiques une prolongation des temps de réaction lors d’une tâche de freinage sur simulateur en période inter-ictale, qui correspond à la période entre les crises.

Parmi les facteurs liés à l’épilepsie pouvant affecter les performances de conduite, les traitements antiépileptiques se caractérisent par des effets secondaires susceptibles d’impacter les performances de conduite (Kaussner et al., 2010 ; Ramaekers, et al., 2002).

Accidentologie et épilepsie

Les études divergent quant au véritable risque d'accidents chez les personnes épileptiques. Par exemple, Lings (2001) a rapporté des taux d'accidents plus élevés chez les sujets épileptiques, avec un taux de 9,4 pour 1000 personnes-années de conduite, comparé à 1,34 chez les sujets contrôles. Toutefois, d'autres études n’ont pas montré plus de risque d’accidents dans cette population (Kwon et al., 2011 ; McLachlan et al., 2007; Sheth et al., 2004). Une étude portant sur 16 958 personnes épileptiques et 8 888 témoins n’a, par ailleurs, trouvé aucune augmentation du risque d'accidents de la route chez les personnes épileptiques après avoir contrôlé l'expérience de conduite, le kilométrage, l'âge et le genre (Taylor et al., 1996).

Le taux d'accidents mortels est toutefois plus élevé pour les conducteurs épileptiques que pour ceux souffrant d'autres conditions médicales telles que les maladies cardiovasculaires et le diabète (Sheth et al., 2004).

Lois et restrictions actuelles

À l'échelle mondiale, les conditions pour le maintien du permis de conduire des personnes épileptiques varient. Après une première crise, de nombreux pays, tels que l'Italie ou l'Allemagne aux niveaux européens, et les États-Unis, le Japon ou l’Australie à l'échelle mondiale, imposent des périodes d'inaptitude, souvent entre six mois et un an. Les critères pour lever l'inaptitude, tels que les évaluations neurologiques, peuvent varier selon le pays ; certains pays privilégiant la stabilité de l’épilepsie à long terme, tandis que d'autres exigent une période sans crise plus courte. Bien que les délais soient différents d'un pays à l'autre, la logique générale demeure, impliquant une évaluation approfondie de la stabilité et de l'aptitude à conduire après des épisodes épileptiques.

En France, la législation régissant la conduite des personnes épileptiques s'appuie sur l'arrêté du 28 mars 2022, qui transpose la Directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 modifiée relative au permis de conduire. Cet arrêté établit la liste des affections médicales incompatibles ou compatibles avec ou sans aménagements pour l'obtention, le renouvellement ou le maintien du permis de conduire. Selon cet arrêté, pour les conducteurs des véhicules du groupe léger, en cas de première crise d'épilepsie non provoquée, une incompatibilité temporaire de six mois est imposée, suivie d'une compatibilité temporaire de cinq ans en l'absence de crises pendant cette période, et enfin, une compatibilité définitive si aucune crise n'est survenue. Pour une deuxième crise dans les cinq ans suivant la première, une incompatibilité temporaire d'un an est décrétée, puis une compatibilité temporaire de cinq ans sous réserve d'un suivi médical spécialisé et d'un traitement compatible, et enfin une compatibilité définitive en l'absence de crises durant ces cinq ans. L'ensemble de ces levées de restrictions doit être validé par un neurologue selon les critères spécifiés dans l'arrêté, qui doit notamment estimer que le risque de nouvelle crise est négligeable.

Evaluer l’aptitude à la conduite des personnes épileptiques

En France, le neurologue en charge du suivi du patient a pour obligation de l'informer des risques légaux et sécuritaires liés à la conduite en cas d'épilepsie, conformément à la réglementation en vigueur. Il peut ensuite conseiller à son patient de consulter un médecin agréé par la préfecture qui examinera son dossier médical pour décider du maintien ou non du permis de conduire. Il peut également recommander une évaluation fonctionnelle approfondie impliquant différents professionnels (e.g., ergothérapeute, neuropsychologue, moniteur d’auto-école, médecins spécialistes) afin d'obtenir des informations complémentaires. A ce jour, l’évaluation de l’aptitude à la conduite d’une personne épileptique se base principalement sur la consultation médicale. Proposer des outils complémentaires mesurant la performance de conduite et les fonctions cognitives impliquées dans la conduite permettraient d’évaluer « au plus juste » l’aptitude à la conduite des personnes épileptiques.

Plusieurs outils et méthodes d'évaluation sont disponibles pour évaluer l'aptitude à la conduite des personnes épileptiques dont le bilan neuropsychologique. Ce bilan met particulièrement l’accent sur des fonctions spécifiques telles que les fonctions visuo-perceptives, exécutives et attentionnelles (Wolfe & Lehockey, 2016), lesquelles sont des capacités cognitives impliquées dans la tâche de conduite. Toutefois, des études ont mis en évidence des différences entre les performances aux tests neuropsychologiques et celles en situation de conduite réelle, soulignant l'importance de combiner ces deux approches pour une évaluation complète de l'aptitude à conduire (Aksan et al., 2012 ; Casutt et al., 2014). Les tests sur route présentent l’avantage d’objectiver le comportement du conducteur en situation réelle mais restent difficiles à mettre en œuvre dans des conditions sécuritaires. Ils impliquent en effet, un véhicule à double commande et la présence d’un moniteur d’auto-école. En revanche, les simulateurs de conduite offrent un environnement sécurisé et, standardisé pour évaluer les capacités de conduite des personnes atteintes d’épilepsie. Ils permettent de simuler une variété de situations de conduite (e.g., urbain, rural, grande vitesse, pluie) sans risque de mettre en danger les autres usagers de la voie publique. De plus, ils permettent de mesurer des performances spécifiques (e.g., vitesse, déviation de la position sur la voie, temps de freinage) et leur capacité à reproduire les mêmes scénarios assure une standardisation possible. Toutefois, peu d’études ont jusqu’ici utilisé les simulateurs de conduite dans l’évaluation de l’habilité à la conduite des personnes épileptiques. Une étude menée par Yang (2010) sur simulateur a, par exemple, permis d’observer des différences significatives dans les performances de conduite en fonction des types de crises d’épilepsie, suggérant une implication de différents réseaux neuronaux dans la mobilisation cognitive et motrice requise pour la conduite. Une étude de Crizzle et collaborateurs (2012) sur simulateur a également montré que les performances attentionnelles visuelles (ex. : test du champ visuel utile) sont associées aux performances de conduite sur simulateur.