En France, les hommes réussissent davantage que les femmes l'examen pratique du permis de conduire B. Un des facteurs explicatifs potentiels, identifiés par le projet « Permis_HF » (2016-2019), est la menace du stéréotype, laquelle peut se définir comme une baisse des performances lors de situations d’évaluation due à la lutte, consciente ou non, de l’individu pour éviter de confirmer le stéréotype négatif à son égard. Mais le projet « Permis_HF » n’a pas permis d’étudier directement la situation d’évaluation de l’examen pratique.
Le projet « MESCA » (2020-2022) vise donc à interroger l’implication sociocognitive des stéréotypes de sexe associés à la conduite automobile au moment de l’examen pratique du permis B, sur les candidats mais aussi sur les personnes en charge de les évaluer, les inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière (IPCSR).
Le projet MESCA s’articule autour de cinq études, détaillées ci-dessous :
Les inspecteurs et inspectrices du permis de conduire et de la sécurité routière utilisent les stéréotypes de sexe connus associés à la conduite pour expliquer les différences qu’ils observent mais il n’est pas possible d’affirmer l’existence d’une différence genrée dans le jugement des performances.
Les résultats de la première enquête qualitative soulignent que les IPCSR utilisent les stéréotypes de sexe connus associés à la conduite pour expliquer les différences qu’ils observent, et plus particulièrement la croyance selon laquelle les femmes seraient incompétentes au niveau technique/mécanique.
Néanmoins, l’étude expérimentale en ligne ne permet pas de valider l’hypothèse d’un préjugé évaluatif genré chez les IPCSR : il n’y a pas de différences significatives ni sur la note totale, ni sur les différentes compétences attribuées aux candidats selon la manière genrée ou non de présenter les scénarios. La situation d’examen est une situation riche en information et l’activation d’un genre par un prénom dans l’expérimentation en ligne n’est surement pas à la hauteur de tout ce qui peut se jouer et se voir lors d’une prestation de trente minutes en huis clos. Cette étude n’a donc pas permis d’affirmer l’existence d’un jugement genré des performances.
Le niveau de menace perçue n’affecte pas directement la réussite ou l’échec à l’examen mais les stéréotypes associés à la compétence au volant ont un effet néfaste sur la réussite des candidates.
L’étude quantitative s’intéresse aux ressentis des candidates et des candidats afin de savoir si, dans le cadre de l’examen pratique du permis B, les femmes se sentent plus menacées que les hommes par les stéréotypes qui mettent en doute leurs compétences au volant. Quel que soit le résultat à l’examen pratique (note réelle obtenue après la passation de l’enquête), les femmes se sont senties plus menacées par les stéréotypes que les hommes.
Chez les candidates, les menaces les plus ressenties concernent le regard d’autrui et de leur groupe de sexe (peur de confirmer que mon groupe est moins compétent). Chez les hommes candidats, les menaces les plus ressenties concernent le Soi (peur de confirmer que je suis moins compétent), davantage que leur groupe de sexe. Les variables sociodémographiques (âge, milieu d’habitation, niveau d’étude, enfants à charge) n’affectent pas la perception de la menace du stéréotype. Mais les plaisanteries des proches sur les compétences de conduite chez les candidates provoquent une augmentation de la menace.
Le risque d’échouer à l’examen pratique semble donc dépendre, chez les femmes de leur connaissance et de leur adhésion au stéréotype de sexe de l’homme naturellement compétent pour la conduite – que la perception des proches peut venir contrebalancer - et, chez les hommes, de la perception négative qu’ils ont de leur compétence et de la perception que leur renvoient leurs proches. Par contre, le niveau de menace perçue n’affecte pas directement la réussite ou l’échec à l’examen.
L’estimation de réussite personnelle est une variable importante à considérer pour penser des solutions d’amélioration des conditions et de la réussite à l’examen tandis que, pour les candidats et les candidates, le regard d’autrui (le jugement d’autrui sur mes performances ou celles de mon groupe de sexe) semble plus important que l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
L’étude qualitative explorant l’amont, c'est-à-dire ce qui s’est passé durant l’apprentissage de conduite mais aussi durant les expériences sociales de vie liées à la conduite automobile, conclut que le sentiment de menace du stéréotype ne vient pas nécessairement engendrer une pression supplémentaire chez les candidates interrogées.
Pour autant, les résultats de cette étude montrent à quel point la pensée stéréotypée autour des femmes au volant est considérée comme évidente et s’avère banalisée.
L’hypothèse selon laquelle les informations contre-stéréotypées ou égalitaires auraient un effet bénéfique sur les performances des femmes (et délétère sur les performances des hommes) est infirmée par les résultats.
La cinquième et dernière étude propose et teste des situations égalitaires ou contre-stéréotypiques (c'est-à-dire des messages apportant des informations allant à l’encontre du stéréotype socialement partagé) permettant de réduire la perception de la menace du stéréotype et ses effets sur les performances, les émotions perçues et le sentiment de compétence chez des apprentis conducteurs et conductrices.
La mesure de la performance est réalisée par le biais d’un test d’épreuve théorique au permis de conduire au cours duquel les quatre conditions suivantes sont testées :
- Condition contrôle : « Vous allez participer à une étude visant à tester des diapositives qui seront utilisées dans une prochaine expérience sur la conduite automobile. Nous allons donc vous demander de répondre à des questions sur le code de la route. A ce test, on observe le même taux de réussite qu’à l’examen théorique du permis de conduire (code de la route), soit 50,5%. »
- Condition stéréotypée : « Vous allez participer à une étude visant à mettre en évidence les différences de capacités au niveau de la conduite automobile entre hommes et femmes. Nous allons donc vous demander de répondre à des questions sur le code de la route. A ce test, on observe le même taux de réussite qu’à l’examen théorique du permis de conduire (code de la route), soit plus de réussite chez les hommes (60%) que chez les femmes (40%). »
- Condition égalitaire : « Vous allez participer à une étude visant à mettre en évidence les différences de capacités au niveau de la conduite automobile entre hommes et femmes. Nous allons donc vous demander de répondre à des questions sur le code de la route. A ce test, on observe le même taux de réussite qu’à l’examen théorique du permis de conduire (code de la route), soit autant de réussite chez les hommes (50%) que chez les femmes (50%). »
- Condition contre-stéréotypée : « Vous allez participer à une étude visant à mettre en évidence les différences de capacités au niveau de la conduite automobile entre hommes et femmes. Nous allons donc vous demander de répondre à des questions sur le code de la route. A ce test, on observe le même taux de réussite qu’à l’examen théorique du permis de conduire (code de la route), soit plus de réussite chez les femmes (60%) que chez les hommes (40%).»
Les résultats ne montrent aucune différence de performance en fonction du sexe selon les conditions expérimentales, ce qui infirme l’hypothèse selon laquelle les informations contre-stéréotypées ou égalitaires auraient un effet bénéfique sur les performances des femmes (et délétère sur les performances des hommes).
Les femmes, quelle que soit la condition expérimentale, ressentent davantage les menaces de stéréotype que les hommes. Et les hommes réussissent significativement plus que les femmes, quelle que soit la condition.
Un outil adapté à la culture française permettant de mesurer les rôles socialement attendus en termes de masculinité et de féminité est proposé.
En complément de ces cinq études, un nouvel outil de mesure de l’adhésion aux stéréotypes de sexe en France est conçu.
Plusieurs instruments de mesure du degré de l’adhésion aux traits et aux rôles genrés ont été créés depuis les années 70 (Bem Sex Role Inventory en 1974 et le Personnal Attributes Questionnaire en 1975, l’échelle de Berger & Krahé en 2013). Le projet « MESCA » propose un outil adapté à la culture française et aux mutations sociales.
Dans un premier temps, les caractéristiques positives et négatives perçues comme typiques du groupe des hommes et du groupe des femmes ont été recueillies par le biais de questionnaires. Chaque participant a énuméré 7 caractéristiques positives et 7 caractéristiques négatives associées de façon différentielle aux femmes et aux hommes. 129 attributs différents ont été finalement retenus : 31 caractéristiques positives typiques féminines (ex : douce, mature), 32 caractéristiques négatives typiques féminines (ex : jalouse, curieuse), 32 caractéristiques positives typiques masculines (ex : protecteur, fort), 34 caractéristiques négatives typiques masculines (ex : violent, grossier).
Dans un second temps, les 129 attributs ont servi de base à la construction d’une nouvelle mesure de l’adhésion aux rôles de genre en France avec des attributs de valence positives et négatives.
In fine, 14 attributs féminins négatifs, 17 attributs féminins positifs, 16 attributs masculins négatifs et 14 attributs masculins positifs ont été retenus (voir ci-dessous).
Le travail sur ces données est actuellement en cours d’approfondissement afin de tester la validité de l’échelle proposée.