Appréhender la Relation entre les Comportements à risque des Adolescents et la pratique des jeux vidéo - ARCADE

La pratique des jeux vidéo, et notamment de ceux valorisant la culture du risque, semble être associée aux comportements routiers à risque à l’âge adulte.

Dans une étude conduite en 2013, Beullens et al. démontrent que jouer pendant l’adolescence à des jeux vidéo de course constitue un antécédent de la conduite sans permis. La probabilité que les adolescents ayant joué à des jeux de course déclarent avoir conduit sans permis est presque quatre fois plus élevée que ceux qui ne jouent jamais aux jeux vidéo de course.

Cependant, la notion de « jeux vidéo de course » peut être trompeuse en tant qu’elle renvoie une image homogène de ce type de jeux, alors même que les jeux vidéo de course recouvrent une certaine diversité, tant en termes de contenus et d’objectifs, que d’effets. Certains récompensent la transgression et les comportements de conduite à risque (dénommés « drive’em up »), d’autres valorisent plutôt la précision de conduite (dénommés « sur circuit ») puisque l’objectif est de remporter une course.

Les conclusions de l’étude menée par Beullens et van den Bulck en 2013 auprès d’adolescents âgés de 17 à 18 ans révèlent l’incidence des jeux vidéo de type « drive’em up » sur les accidents routiers. Si la consommation de « drive’em up » semble favoriser l’implication dans des accidents de la route à l’âge adulte, ce résultat ne se retrouve pas pour les jeux vidéo de course de circuit.

Ainsi, les jeux de course automobile semblent participer à la médiatisation de la culture du risque et avoir un effet sur la prise de risque sur la route.

Partant de l’accidentalité 2023 des jeunes usagers de la route, où la mortalité des 14-17 ans connaissait une hausse de 18 % et celle des 18-24 ans représentait 91 tués par million d’habitants (près du double de la population tous âges, 48 tués par million d’habitants), l’étude ARCADE, menée par l’Université Gustave Eiffel, a exploré les effets, aussi bien positifs que négatifs, de la pratique des jeux vidéo sur la prise de risques des adolescents lors de leurs déplacements. Les adolescents constituent une population de choix étant donné que, selon le livre d’Assailly paru en 2016, les comportements à risque augmentent durant l’adolescence et sont un vecteur de socialisation.

Les usages des jeux vidéo et leurs liens potentiels avec les comportements à risque

La première partie de l’étude ARCADE a permis de distinguer deux typologies de profils : une axée sur le niveau de violence du jeu vidéo et une orientée sur le risque. Dans la première typologie, les garçons et les 15-20 ans sont surreprésentés dans le groupe des joueurs de jeux violents. Comparativement aux joueurs de jeux non violents, les joueurs de jeux violents ont des scores plus importants en termes de masculinité, de motivation à la compétition, de recherche de plaisir et de contrôle de soi. La seconde typologie opposant les risqueurs aux moins risqueurs a également montré une motivation à la compétition-exhibition plus grande chez les risqueurs.

Ainsi, le fait de rechercher la victoire et la reconnaissance d’autrui dans le jeu vidéo semble être un dénominateur commun à la pratique de jeux vidéo violents et au rapport au risque.

Tableau de répartition des effectifs filles-garçons et tranches d'âge dans les groupes de joueurs
Les garçons ainsi que les 15-17 ans et les 18-20 ans sont surreprésentés dans le groupe JVV. A l'inverse, les filles et les 12-24 ans sont sous-représentés dans ce groupe mais majoritaires dans le groupe des JVNV.

Un lien entre variables psychologiques, comportements de conduite à risque et jeux vidéo ou pratique d’un sport à risque difficile à établir

Dans une autre étude du projet, les pratiques vidéoludiques et sportives ont été comparées afin d’observer la spécificité ou non de leurs effets sur les variables liées au risque. La pratique sportive a été choisie du fait que, comme celle vidéoludique, elle se trouve reliée à la recherche de sensations, connue pour être associée aux comportements risqués sur la route.

En premier lieu, les analyses appliquées plus spécifiquement aux hommes de 18-20 ans – population la plus concernée par la pratique de jeux vidéo violents et par la prise de risque – ont montré que plus cette catégorie joue aux jeux vidéo pour exhiber ses performances, plus elle pense retirer des bénéfices à adopter des comportements de conduite à risque. À l’inverse, plus elle joue aux jeux vidéo pour partager des moments de sociabilité, moins elle aurait l’intention de prendre des risques au volant.  

En deuxième lieu, les analyses n’ont pas montré un effet de la pratique d’un sport à risque sur les comportements de déplacement à risque. Dans la littérature, cette question n’a été que très peu étudiée. On peut citer une étude française de Martha et Griffet de 2007, sur la relation entre la pratique sportive et les comportements routiers à risque des adolescents, qui corrobore ce constat. Elle montre que les adolescents sportifs (sport à risque ou non) ont déclaré moins de comportements à risque lors de la conduite d’un scooter que les non-sportifs.

L’effet du cadre motivationnel de la pratique du jeu vidéo sur les comportements à risque : des résultats inattendus

L’expérimentation menée dans la dernière étude du projet ARCADE a testé l’effet du cadrage motivationnel (exhibition vs sociabilité) de la pratique vidéoludique sur les comportements de conduite à risque des hommes âgés entre 18 et 20 ans, tous joueurs de jeux vidéo et détenteurs du permis B.

Les participants exposés au message cadré sur la motivation à la sociabilité ont des attitudes plus sujettes aux comportements de conduite à risque comparativement au groupe contrôle (message neutre) et au groupe de participants exposés au message cadré sur la motivation à l’exhibition. Ce résultat, contraire aux attentes des chercheurs, peut tenir au fait que l’induction du cadrage motivationnel n’a pas eu l’effet attendu sur les motivations propres des participants.

Des impacts négatifs sur les comportements de conduite à risque à relativiser

Le constant doit cependant être nuancé, les jeux vidéo n’étant pas homogènes. Différents types de jeux vidéo peuvent produire une multitude d’effets sur les comportements, et les conséquences peuvent être négatives ou positives. Une étude (Greitemeyer, 2013) a pu démontrer que les joueurs d’un jeu vidéo prosocial sont moins enclins à adopter une conduite imprudente et risquée, et se sentent davantage concernés par les autres usagers de la route, que les joueurs engagés dans la condition de jeu vidéo neutre.

Si les résultats du projet ARCADE semblent révéler un impact négatif de la pratique de jeux vidéo violents sur les comportements de déplacement à risque, cet effet est à relativiser. D’abord, il paraît surtout concerner les hommes âgés entre 18 et 20 ans, identifiés comme étant les plus gros consommateurs de ce type de jeux vidéo. Ensuite, cet effet n’est pas direct. En effet, la motivation à la compétition-exhibition dans la pratique vidéoludique semble jouer un rôle important dans cette relation. Autrement dit, plus les individus recherchent la victoire et la reconnaissance de leurs performances dans le jeu vidéo, plus ils tendraient vers des comportements de déplacement risqués.

Enfin, les comportements à risque doivent être appréhendés dans une perspective holiste, c’est-à-dire compréhensive et simultanée. En d’autres termes, ce n’est peut-être pas tant la consommation de médias orientés - en l’espèce les jeux vidéo - sur le risque qui produit les comportements à risque que l’appétence de certains individus pour le risque qui les amène à s’exposer à ce type de médias et à s’engager dans ce type de comportements.