Le projet « PUSER » a cherché à classer une soixantaine de villes de France métropolitaine couvertes par un plan de mobilité selon leurs performances de sécurité routière. L’équipe de recherche a ensuite identifié quelles étaient les bonnes pratiques permettant ces résultats, pour finir par une monographie sur 3 villes présentant de bonnes performances.
Pourquoi évaluer les performances de 70 villes ?
En 2000, la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) a permis de replacer la sécurité des mobilités au centre des orientations des politiques urbaines. Les plans de mobilité (PDM) – documents de planification portés par les autorités organisatrices de la mobilité – l’exigent même explicitement, et imposent également la mise en place d’un observatoire des accidents impliquant au moins un piéton ou cycliste.
Ces plans de mobilité font régulièrement l’objet d’évaluations, à l’inverse des politiques locales de sécurité routière en milieu urbain. L’enjeu est pourtant élevé : 2 blessés sur 3 et un-tiers des personnes tuées le sont en agglomération. En outre, la diminution de l'accidentalité au niveau national cache des disparités au niveau local, qu'il s'agissait de comprendre à travers cette étude.
Toutes les villes progressent-elles au même rythme ?
Devant le besoin affiché d’améliorer la sécurité en milieu urbain, l’équipe mixte de chercheurs du Cerema et de l’Université Gustave Eiffel s’est intéressée aux performances de sécurité routière de 70 villes-centre (villes d’au moins 50 000 habitants et leur 1ère couronne) sur une période de 31 ans (1987 – 2017).
L’indicateur retenu pour mesurer leurs performances est le nombre d’accidents corporels en milieu urbain par habitant, obtenus à partir des fichiers nationaux des accidents corporels et des populations INSEE. Pour évaluer la performance des villes, les chercheurs se sont ensuite intéressés à leur progression relative entre 1987 et 2017, et à leur position relative en 1987 et 2017.
Les villes-centres sont ainsi classées en 6 catégories, selon les résultats en 1987, la diminution plus ou moins rapide que la moyenne des autres villes-centres, et leur position en 2017. On remarque notamment que les villes ayant des meilleurs résultats en 2017 qu’en 1987 (par rapport à la moyenne des autres villes-centres) sont celles dont la diminution de l’accidentalité est la plus forte. Dans ce groupe se trouvent des villes-centres comme Toulouse, Rouen ou Troyes. De même, les villes moins bonnes que la moyenne en 2017 alors qu’elles étaient meilleures en 1987 sont logiquement celles dont la diminution est la moins forte. Des villes comme Pau, Limoges ou Lyon sont concernées par ce cas de figure.
Cependant, parmi les villes aussi performantes en 1987 qu’en 2017 (par rapport à la moyenne des autres villes-centres), se trouvent certaines dont la diminution est plus rapide (Nantes, Annecy ou Metz) et d’autres moins rapide (Strasbourg, Saint-Etienne et Arles) que la diminution moyenne des autres villes. Le même constat est fait pour les villes qui affichaient des résultats moins bons que la moyenne en 1987 et qui sont restées moins performantes en 2017 (Marseille diminue moins vite quand Ajaccio ou Nîmes diminuent plus vite).
Comment expliquer ces disparités ?
Le paragraphe précédent permet seulement de se faire une idée de l’évolution en 30 ans des performances en matière de sécurité routière des diverses villes-centres. Pour comprendre les raisons qui pourraient expliquer cette disparité de performances, l’équipe projet s’est intéressée à plusieurs catégories de déterminants (c’est-à-dire les facteurs explicatifs) : l’effet temporel, l’effet des mesures prises dans les plans de mobilité, et les effets de variables extérieures aux PDM comme la morphologie d’une ville, la socio-démographie et la socio-économie. Le but étant d’identifier quels facteurs sont associés à de bonnes performances en accidentalité et mortalité routière.
Plusieurs modèles ont été testés selon si l’on s’intéresse au nombre d’accidents ou au nombre d'individus tués, mais dans l’ensemble les résultats convergent.
L'effet temporel
L’effet temporel se caractérise par une baisse de la mortalité et de l’accidentalité en agglomération, de l’ordre de -5% à -6%, toutes choses égales par ailleurs. Cela signifie donc que sans plan de mobilité et sans aucune évolution d’aucun autre paramètre du modèle, la mortalité diminuerait de -5 à -6% en moyenne par année.
Les mesures prises dans les plans de mobilité
Le contenu des plans de mobilité varie d’une ville-centre à une autre et dans le temps (une ville peut revoir sa stratégie et ajouter ou enlever des mesures, constituant ainsi un nouveau PDM). Ce sont ainsi 104 plans de mobilité couvrant 64 villes-centres (6 ont été éliminées du modèle pour des raisons statistiques) qui ont été analysés.
Les mesures corrélées à de bons résultats sont donc les suivantes : existence de mesures pour renforcer ou améliorer le contrôle exercé par les forces de l’ordre (baisses de l’accidentalité de -12% et de la mortalité de -18% par rapport aux villes-centre n’ayant pas pris ce genre de mesures) ; existence de mesures fortes pour la sécurité des piétons (-20% d’accidentalité et -14% de mortalité sur ces villes-centres par rapport aux autres) ; existence de mesures fortes favorisant la bonne connaissance des enjeux de sécurité routière sur le territoire concerné (-23% d’accidentalité et -11% de mortalité). Enfin, les PDM intégrant des mesures pour pérenniser ou renforcer l’observatoire des accidents existant sont corrélés à une mortalité de 23% inférieure aux villes-centre ne prévoyant pas de telles mesures.
Il faut toutefois être prudent et rappeler qu’il est impossible de dire si les bons résultats sont imputables à ces mesures, nous ne pouvons seulement conclure qu’il existe une corrélation entre les mesures et les tendances d’accidentalité et de mortalité.
Les autres facteurs extérieurs
L’équipe de recherche a identifié quels sont les facteurs extérieurs associés à de bonnes performances. Pour chaque variable, les variations de l’accidentalité et de la mortalité sont données pour l'augmentation d’une unité supplémentaire de la variable. Du point de vue sociodémographique, l’indice de jeunesse d’une ville-centre (le nombre de jeunes pour 100 seniors) est négativement associé au nombre d’accidents et personnes tuées : pour 10 jeunes supplémentaires pour 100 seniors dans une ville-centre, l’accidentalité serait en moyenne inférieure de -4,5% et la mortalité de -4%.
Pour la dimension socio-économique, le taux de couverture d’emploi ainsi que la densité urbaine semblent être bénéfiques respectivement pour l’accidentalité (-2,5% en moyenne pour 10 emplois pour 100 actifs occupés supplémentaires) et la mortalité (-4% en moyenne pour 10 emplois et habitants cumulés supplémentaires par hectare). A l’inverse, le taux de chômage est corrélé à une mortalité accrue (8,5% en moyenne lorsque le taux augmente de 10 points). Enfin, la capacité de l’autorité organisatrice de la mobilité à investir dans les transports en commun joue en faveur de l’accidentalité.
Pour terminer, il est intéressant de noter que pour une année supplémentaire d’existence de l’observatoire, le nombre d’accidents et de personnes tuées sont respectivement corrélés à des résultats supérieurs de 1% et 1,5%.
Quelles pistes pour améliorer la sécurité routière ?
Pour finir, l’équipe de recherche a concentré son analyse sur 3 villes-centres (Limoges, Chambéry et Toulouse) afin de mieux comprendre leurs logiques organisationnelles et le modalités d’intervention.
Ils ont ainsi pu faire émerger des pistes d’amélioration généralisables à l’ensemble des villes dans un but partagé de réduction de l’insécurité routière. Pour commencer, cette dernière étape du projet a permis de souligner l’importance de disposer de données d’accidentalité fiables et qualitatives, que les forces de l’ordre (mais aussi les hôpitaux et sapeurs pompiers) doivent s’efforcer de collecter et partager de la manière la plus exhaustive possible.
En outre, au-delà de l’objectif de collecte des données, c’est l’ensemble de l’accidentalité et des mobilités que les acteurs de la sécurité routière doivent améliorer. Ceci passe par exemple par des partenariats à développer, pour impliquer les polices nationales et municipales, les centres hospitaliers mais aussi les collectivités déconcentrées et territoriales.
Par ailleurs, il est recommandé d’intégrer des objectifs chiffrés dans les plans de mobilité, en choisissant des indicateurs de suivi adaptés et explicites. De plus, la sécurité routière devrait être une dimension systématiquement intégrée aux projets d’aménagement et d’infrastructure.
Enfin, pour valoriser ces actions et pour faire connaitre les enjeux à la population, il semblerait pertinent de développer la pédagogie, pour aider à la transition lors de nouveaux aménagements par exemple. Cela peut également prendre la forme d’action de sensibilisation sur le terrain, pour communiquer directement sur les risques en s’adaptant aux usagers concernés (les lycéens ou les automobilistes par exemple).